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Mariehamn3 Juin Juillet 2022 Svalbard, de Tromso à Tromso

Dernière mise à jour : 6 nov. 2022

Jeudi 16 Juin

Aujourd'hui on part pour les îles. Les iles où les glaciers sont en bord de mer, les îles où il y a des phoques, des morses, des ours et des renards polaires, des pingouins et des macareux. Nous quittons le ponton de Skjervoy en début d'après-midi malgré cette marche arrière qui se refuse de passer et commençons à louvoyer pour sortir du fjord. On a tiré des bords et, plus tard, on a atteint la pleine mer et la route directe. Nous bénéficions d'une jolie brise qui gonfle notre génois un peu roulé et notre grand voile arrisée au premier ris. On avance rondement. Au petit matin le vent molli et on envoie tout. Notre vitesse est bonne c'est à dire autour de six nœuds, le voilier stable , 24 heures passent sans qu'on touche à la voilure. Ensuite ça forcit, on prend des ris, puis on remplace le génois par la trinquette et on prend le second ris, notre allure est toujours confortable.





La seconde nuit nous essuyons quelques averses de neige, le vent mollit, on ralentit et on ne se plaint pas de ne pas avoir de vent fort sous la neige, on a fait quelques heures de moteur avant de renvoyer et même de parfois mettre le gennecker, puis le génois, puis la trinquette, on change les voiles histoire de ne pas avoir froid et surtout de s’adapter aux conditions de vent qui sont ….assez changeantes. A mi-parcours on laisse l'île aux ours à 24 milles sous notre vent, et enfin on voit apparaître, après quatre jours de mer les glaciers du sud de l'île de Spitzberg. On remonte la cote sud alors que le vent monte, problème courant auprès des glaciers, rarement à une température très supérieure à zéro degré centigrade. Le vent a continué de forcir, je me laisse un peu aller et reste trop longtemps sous gennecker, ce qui devait arriver arrive, le bateau devient incontrôlable et on se retrouve un peu couché, un peu loffé, l'amirale rouspète, on enroule le gennecker, bien sûr on emmêle la bosse d'enrouleur, il faut aller à l'avant, démêler la ficelle jaune au-dessus d'une eau déchaînée à 5° , se faire un peu éclabousser, avoir froid aux mains jusqu'à ce qu'elles deviennent rouges et douloureuses et conclure que la prochaine fois on enroulera avant. Puis on arrive sur le fjord Hornsund, on est content de voir l'entrée du fjord, le bateau file sous grand-voile arrisée et trinquette au grand largue. Le mouillage est proche, a 10H l'ancre aura croché et on sera devant une bière.


Au début l'entrée du fjord s'avère plus agitée que prévue, en avançant nous entrons en enfer, des vagues très dures nous assaillent par l'avant, un fort courant nous repousse, nous mettons un appui moteur et progressons à 1kn sur le fond, parfois moins, le mouillage est à 7milles, il fait un froid de pingouin, l'heure tourne et le doute s'installe. Nous passons de l'autre côté du fjord car je pense qu'il n’est pas possible que le même phénomène existe sur les deux rives; une heure plus tard il faut bien admettre que ce n'est pas une solution. Nous ne savons que faire et doutons de tout, le moral est bas et la fatigue augmente. Les instructions nautiques indiquaient bien que le vent d'est pouvait être très fort et générer une mer déchaînée nous n'imaginions que ce puisse être au point de nous empêcher d'entrer dans un fjord large de six milles.




Nous ressortons, cette fois ci au vent arrière, par deux fois on empanne et la retenue de bôme, une drisse de 12, casse comme une vulgaire ficelle. Le vent est à plus de 40kn. Le prochain mouillage sera très exposé au vent mais protégé du clapot. Nous espérons que nous pourrons entrer mais ne savons rien, plus rien. Ensuite nous retrouvons des conditions normales, 20, peut-être 25 kn et entrons sans soucis dans le mouillage, bien protégé par une succession d'anciennes moraines qui ne dépassent l'eau que de quelques mètres, certaines ont été peintes en blanc , nous sommes rassurés car cela indique que l'être humain a marqué ces repères pour un accès plus facile au mouillage, puis en s'approchant on se rend compte que c’est de la glace.





L'endroit est sublime, on laisse tomber l'ancre par 8 mètres et on envoie 40 mètres de chaîne. Il est deux heures du matin. Photos, repas léger, on est arrivé et si nous n'avions pas tenté d'entrer dans le Hornsund on aurait pu dire que c'était facile, là on boit notre soupe et on parle peu. On profite du chauffage et de ces instants de répit. Il n'empêche, on y est.


Lundi 20 et mardi 21.


Vent fort, c'était prévu. Bloqué au mouillage, on met les fusils en service, on mange, joue aux échecs, lit, écrit, regarde les glaciers, guettons les ours, les oiseaux, les nuages et rentrons la tête dans les épaules lors des rafales mais ça ne sert à rien. Il ne fait pas beau, on se couche tôt et le vent forcit. On ne dort pas et ça forcit encore. On se dit qu'on est en train de s'en prendre une copieuse et ça monte encore. A 4 heures on se lève, Le bateau se balance de part et d'autre, on met en route l'ordinateur et on constate le mouvement de balancier, comment pourrait-il en être autrement! Parfois, souvent en fait, une rafale nous couche quand on est en fin de balancement, la pression est basse, 989hPa, et baisse encore. Nous démarrons le moteur et sur les rafales on embraye pour soulager la chaine. L’amirale est très anxieuse et on peut la comprendre. Nous nous équipons en vêtement polaire afin de pouvoir être à la manœuvre instantanément. La plaisanterie dure jusqu'à midi où l'on se dit que ça baisse un peu. On en profite pour manger. Après l'équipe de nuit part se coucher et les twins soco prennent la veille. J'entre dans le coma jusqu'à 5 heures, quand j'en sors la pression est à 990, le vent a diminué, un immense soulagement se dégage, l'ancre a tenue. Le temps se lève un peu, il pleut, les montagnes sortent parfois de la brume, les vagues au mouillage redeviennent modérées, on respire enfin et attaquons une partie de tarot. Le téléphone iridium ne marche plus, je ne comprends pas pourquoi, je n'arrive pas à joindre G en France pour savoir comment la météo va évoluer, quand il ne pleuvra plus et qu'il y aura moins de vent je sortirais pour voir si ça marche mieux dehors. En attendant nous sommes seuls et sans informations. Vraiment seuls et je crois qu'on peut dire au bout du monde.


Mercredi 20


La tempête s'est calmée. Il reste un petit 20kn de vent poussif. Nous partons direction du Fjord d'après, appelé Bellsund , a 50 nautiques. Vent portant, navigation sans histoire, les deux dernières journées sont loin dernières nous. Parfois un rayon de soleil éclaire les montagnes austères que nous laissons sur tribord.





Entrés dans le Bellsund nous nous dirigeons vers un bras du fjord, orienté au nord. Au bout du bras un glacier, nous allons voir,


Au pied du glacier une tache brune, nous allons voir, c'est un troupeau de morses, nous allons voir de plus près.




Un voilier français est mouillé la, nous nous saluons, ils nous demandent si nous avons une pince à rivet, nous leur prêtons la notre et allons mouiller près des morses qui viennent nous voir, ils nagent autours du bateau, reniflent, soufflent, sortent, grognent et nous regardent.




Nous on les regarde aussi, sans grogner. On les prend en photo, on s'émerveille.


On reste la pour la nuit. Parfois dans le silence du mouillage on entend ces animaux préhistoriques souffler près de la coque, parfois un growler vient racler la ligne de flottaison, on écoute ces bruits si inhabituels et on tarde à s'endormir.


Jeudi 21


Nous ne savons pas encore que cette journée sera catastrophique.

Sitôt après déjeuner je me rends compte que nous dérapons. Nous sommes à quelques mètres de la plage, démarrage moteur, relevage de l'ancre en urgence, ouf, premier soupir. Nous partons rejoindre un autre mouillage de l'autre côté du fjord car le vent est passé secteur nord. C'est si près qu'on ne met pas les voiles, et puis, il faut bien de l'eau chaude. Au fur et à mesure que nous progressons le vent monte, monte, monte. On doit maintenant avoir 30 à 40 kn . Nous progressons lentement en direction du mouillage, laissons à notre vent une petite île et prenons un passage à terre . Le vent monte encore, les rafales deviennent terribles et le bateau n'est que très difficilement contrôlable. Le vent nous pousse sur des cailloux, je tente une manœuvre désespérée, ne pouvant pas faire grand-chose d'autre, au lieu de chercher à résister à ces rafales je laisse le bateau dériver, contrôle au moteur la dérive et passe entre les cailloux. Plus tard les français d'hier qui étaient mouillés un peu plus loin le long de la côte sous le vent nous dirons qu'ils nous ont vu perdus. On se sort de ce faux pas, ouf, second soupir. On va mouiller derrière le bateau des français. Le génois se déroule en haut de l'étais, il commence à claquer dans les rafales, s'emmêle et claque de plus belle. L'ancre descend, croche, on envoie 50 m de chaîne pour 8 m de fond. Je me précipite sur ce génois, aidé par mes équipières, nous tirons sur tout ce qui pourrait aider à le dérouler afin de pouvoir ensuite l'enrouler correctement, il ne se passe rien. A si, il se déroule un peu plus en haut, claque de plus belle, fait trembler le mat. A nouveau la situation devient terrifiante. C'est sûr l'ancre va chasser! Quelques minutes plus tard, le génois commence à partir en lambeaux et on dérape bien sur. Je contrôle la dérive comme je peux, puis Florence prend la barre et on arrive plus ou moins à redonner quelques tours au génois, de toute façon maintenant qu'il est en lambeaux sur le tiers supérieur il ne prend plus le vent. Ensuite c'est la trinquette qui est l'objet du même phénomène, le haut se déroule, prend le vent et claque horriblement. Nous remontons le mouillage et constatons la perte de notre ancre CQR de 25kg. Les filles remettent une ancre au bout de la chaine, on revient là ou il faut pour mouiller, l'ancre descend, elle croche dans 7m d'eau, on envoie 60m de chaîne, on déroule à grand peine la trinquette, on la roule immédiatement, le mouillage a tenu mais les réas du davier sont abîmés, un réa est perdu, le davier est tordu, le génois est foutu, la trinquette déchirée en de multiples endroits mais probablement réparable, le régulateur a son aérien qui baisse la tête, des anneaux brisés sont coincés sur le pont là où le vent les a poussés, le taud de GV est déchiré, la girouette faussée et de multiples bricoles sont cassées ou ont disparues.

C'est tout.

Nous sommes a l'abri, il n'y a plus que 45kn de vent, le mouillage tient, enfin pour l'instant, nous sommes tous les quatre exténués, nous avons mal partout, nous puons la sueur, nos cheveux sont collés sur le front, on se regarde et on sait bien que chacun d'entre nous est rassuré que nous soyons toujours quatre à bord. Seule l'amirale a un petit bleu aux fesses, ce n'est pas trop cher payé. Il est vraiment petit, je ne mets pas de photo. Pour le reste non plus d’ailleurs, on avait autre chose à faire que de prendre des photos.

Ensuite l'attente reprend, les rafales nous couchent régulièrement, le vent est assourdissant, a l'intérieur c'est plus calme et on ne voit pas les dégâts. Cette nuit on repart sur une personne de quart, toute la nuit, enfin pendant que les trois autres essaient de dormir, puisqu'il fait grand jour bien sûr.


Vendredi 22


Le vent est moins fort, une trentaine de nœuds, le mouillage tient toujours et nous veillons. En fin d'après-midi deux d'entre nous allons chercher un morceau de tissus autocollant pour réparer la trinquette sur Mad, le voilier Français d'à côté. Cette sortie nous fait un bien fou. Nous leur parlons de nos difficultés et de nos craintes, ils nous parlent de leurs angoisses quand ils ont vu nos difficultés, du fait qu'ils ont remarqué nos efforts dans cette bagarre. Ils sont réconfortants, positifs, ça fait du bien au moral.


Samedi 23


Enfin il n'y a plus de vent fort. Nous descendons la trinquette et c'est atelier couture. Nous posons 12 pièces d'un côté et six sur l'autre face. Nous réparons diverses bricoles, remettons des anneaux brisés là où il faut puis nous partons. Le vent est bon, nous tentons de nous servir de ce vent raisonnable pour dérouler le génois mais rien à faire, il est bloqué, verrouillé, roulé, sauf sur la moitié supérieure où des lambeaux de trois à quatre mètres flottent au vent. C'est ainsi, peu glorieusement que nous entrons dans l'Isfjord. Le grand fjord du centre, celui où est Longyearbyen. Nous allons au nord, pour mouiller près d'un glacier. C'est beau, c'est calme, c'est désert, c'est froid.



Je décide de monter au mat pour repositionner la girouette et resserrer l'antenne VHF qui s'était desserrée dans le coup de vent. En haut les conditions sont épouvantables, le très léger clapot provoque une oscillation de quelques mètres en haut du mat, on remarque un vif courant d'air qui descend du glacier et bizarrement il n’est pas chaud le bougre. Tout ça collé au mat en aluminium, matière réputée pour ne pas vraiment tenir chaud. Je fais au plus vite, je m'applique car je n'aimerais pas être obligé de remonter demain. Quand je redescends je découpe les lambeaux du génois, je taille dedans avec un couteau bien aiguisé et ce geste me fait mal, me mine un moral déjà fort éprouvé ces derniers jours, à la fin je suis gelé, j’ai envie de vomir mais le travail est fait les plus grands lambeaux qui restent accrochés ne font qu'un gros mètre, l'antenne est resserrée, la girouette ne fait plus la pirouette : c'est chouette.




Dimanche 23 juin


Départ tranquille pour Longyearbyen. Une vingtaine de milles. Vent franc, nous utilisons notre trinquette toute guillerette. Arrivée, nous faisons le tour du ponton mais il est vraiment trop encombré pour un bateau sans marche arrière alors nous allons au mouillage. Là nous tirons sur le génois et miracle, après quelques tentatives le machin vient. Fissa nous affalons, c'est gagné! La voile d'avant git sur le pont, ce ne sera plus jamais un génois, nous plions les lambeaux, tassons le tas dans le sac, rentrons le sac dans le fond d'un coffre. Reste à comprendre comment une voile enroulée soigneusement arrive à se dérouler d'en haut sans que le bas ne tourne et sans que le bloqueur ne laisser filer la bosse d'enrouleur.

Ensuite on débarque, on passe saluer Mad, le bateau Français qui est au ponton, on va en ville chercher le repas du soir. C'est désert, poussiéreux, gris, et pas gai, nous sommes dans une ville du Nord et en plus c'est dimanche.



Lundi 24 juin


Lever tardif, en face de nous, un voisin est arrivé au petit matin. C'est quoi le petit matin quand il fait grand jour tout le temps?



Aujourd'hui tout le monde a terre, nous quatre et les 2000 passagers du Magnifica, le voisin du petit matin. Une ville de 1500 habitants change de visage quand débarquent 2004 touristes. En annexe on passe devant le navire et ça donne ça :



On fait nos courses quand même, on reçoit et envoie notre courrier, on passe à l'administration, on comprend enfin comment envoyer des messages avec l'iridium, certaines vont même jusqu'à piller la brasserie locale, qui fait d'ailleurs de très bonnes bières en plus d'être la brasserie la plus septentrionale du monde. Bien sûr moi je n'étais pas avec elles puisque je chargeais mon article " De Bergen à Tromso " sur le site du CNV.


Mardi 28 Juin


On part de Longyearbyen, on remonte l'ancre et le dernier rouleau du davier fini de casser. On s'y attendait, on avait bien vu qu'il était malade, on l'avait consolidé après le coup de vent mais maintenant c'est mort. On trouve une tige filetée sur un autre bateau, on démonte un réa de bâbord, où ils ne servent à rien car pas en face du guindeau, Coralie remonte tout ça sur tribord et c'est reparti. Le gazole n'est pas cher à Longyearbyen, un tiers de moins qu'en France, hélas un hoquet de l'automate débite le compte de Coralie d'un petit demi-millier d'euros, une partie de la route de cet après après-midi sera consacrée à des essais pour récupérer ces fonds! Puis on perd la connexion, il semble cependant que l'affaire est bien engagée et qu'elle va récupérer ses sous. On sort de l'Isfjord et le soir on mouille dans un coin sublime, banal, des montagnes, de la neige, un glacier pas trop loin, et une cabane sur la grève ou habite pendant l'été un chasseur de phoques.

Au Spitzberg c'est comme en Italie il y a toujours un glacier à proximité, mais il y a beaucoup moins de monde, sauf quand un paquebot débarque ses passagers. Le lendemain matin, ballade à terre, le sol est jonché d'ossements, parfois une petite fleur, de la boue partout et toujours ce fusil qu'il faut porter et cette attention à ce qui se passe autour et ce qui pourrait s'approcher.


Mercredi 29 Juin et jeudi 30 juin


Passage entre l'île du prince Karl et le Spitzberg, détroit du Forland, à la mi-journée on s'arrête, des Français à Roervik nous avait dit qu'il y a des morses derrière la pointe et effectivement il y a un gros tas de bestioles marrons et grasses sur la grève.



Nous débarquons en annexe, avec le fusil bien sûr, précédant de peu un groupe d'une dizaine de personnes arrivés sur un voilier de charter. Les animaux dorment et se foutent éperdument de ces quelques bipèdes qui leur tournent autour.


Nous respirons leur odeur, entendons leur soupirs et pas mal d'autres bruits qu'ils émettent quand ils digèrent. Un morse mange de tout et ça se sent. Nous faisons quelques pas sur cette grève immense jonchée de bois flotté et reprenons l'annexe.





Florence souffre. Elle a du mal à supporter la succession des difficultés et des pannes que nous avons eu. Elle angoisse. Le froid ambiant n'arrange rien. Il faut se rendre compte que la température ici ne dépasse que rarement 8 degrés et descend fréquemment à un ou deux degrés . A ces températures un vent de 25kn est glacial. La navigation est physique, il est fréquent que nous prenions ET lâchons trois ou quatre fois un ris dans la journée. La nuit le vent hurle dans les fjords et le sommeil est dur à trouver dans ces conditions. La beauté et le côté exceptionnel des paysages sont certes bien présent mais elle ne peut oublier les moments terribles du fjord de Bellsund, notre génois en lambeaux, notre trinquette abîmée, notre absence de marche arrière et tout le reste. La décision est prise de limiter notre voyage à une latitude de l'ordre de 80° nord et de redescendre par la côte ouest. Mieux vaut parfois limiter son voyage que mal le terminer. Tant pis, les sévèrement burnés dirons qu'on s'est dégonflés et nous leur répondrons qu'ils ont parfaitement compris la situation, que nous nous sommes lancés dans cette aventure pour nous même et que nous n'avons pas passé le parallèle 80, ce cercle imaginaire situé un peu plus au nord que Lille.


Le soir on entre dans le Kongsfjorden, près de Ny Alesun, la bourgade habitée la plus septentrionale, paraît-il. De toute façon c’est moche, quelques bâtiments le long d'une piste boueuse, on n’y va pas et on s'arrête derrière l'île de Londres, près d'un glacier, à quelques milles de la bourgade boueuse.



Dimanche 1 Juillet.


Le mouillage au matin est un ravissement, eau turquoise, immobile, glaçons bleutés autour du bateau, glaciers en face de nous, rayon de soleil pour faire étinceler tout ça, brume épaisse quelques instants plus tard, masse sombre des montagnes de part et d'autre afin d'apporter un peu de contraste, des pingouins pataugent gauchement de-ci de -là avant de plonger prestement pour nous montrer qu'ils n'ont rien de maladroits.




Nous quittons l'endroit et montons vers Magdalena Fjord. Très vite on entre dans un temps gris, avec une visibilité réduite. Il y a du vent, c'est déjà ça. On avance bien sous grand-voile haute et trinquette, un génois aurait été parfois le bienvenu mais nous n'en avons pas.




A l'entrée du fjord, on se fait un peu brasser mais on rentre, il faut dire que l'amirale avait suggéré qu'on prenne le second ris pour le cas où et comme on ne contrarie jamais une amirale on s'était exécuté, tout compte fait elle n'avait pas tort. Un peu plus loin , devant un glacier je remarque que la mer est presque blanche, il doit y avoir plus de vent, on passe rapidement le troisième ris et on enroule plus de la moitié de la trinquette, trois minutes plus tard je me dis qu'on a bien fait, on accélère a plus de huit nœuds, tout va bien.




Une fois le glacier passé le vent tombe, nous ralentissons, nos voiles pendent et nous démarrons le moteur pour finir le dernier mille au lieu de renvoyer. Je ne suis pas un vrai voileux. Sur l’eau, quelques growlers. Sur les growlers, parfois un oiseau ou un phoque .







A 22h nous sommes mouillés derrière une vieille moraine qui nous sert de digue. A coté de nous un voilier de 80 pieds dernier cri, devant et sur les cotés, les glaciers, au-dessus les montagnes, et sur la côte, dans un repli de terrain une minuscule cabane.



Personne, à part les oiseaux.

Et un renard polaire qui cherche son repas parmi les nids d'oiseaux.



Lundi 2 Juillet.


Débarquement: annexe, fusils, iridium, jumelles, matériel photo, rien n'est simple ici. On est loin de la lagune de Faro ou je partais la journée en annexe et où il ne fallait pas oublier son chapeau et sa crème solaire.



Ballade à terre en surveillant ce qu'il y a devant, ce qu'il y a sur les côtés, ce qui pourrait venir de derrière. Ici le chasseur c'est l'ours.






Rembarquement, le vent s'est levé, comme nous n'avions pas pris le moteur il faut souquer.

Nous allons dans le fond du fjord en bateau pour voir de plus près les glaciers, les growlers, tenter d'apercevoir un ours.




C'est grandiose mais il n'y a pas d'ours.





On sort du fjord car on veut voir ce qu'il y a derrière les îles, si le mouillage est calme nous pourrions y passer la nuit. Le passage est assez étroit, parsemé de cailloux affleurant et quand on se présente à l'entrée le vent dans ce goulet est à une trentaine de nœuds. Je préfère être prudent et nous faisons demi-tour pour retourner au mouillage précédent, dans le fjord de la madeleine.




Dimanche 3 Juillet.


C'est le tout début de notre route retour. Maintenant le cap sera proche du 180, tout le temps. Enfin ce sera 180 à 50 degrés près sur le compas car ici la déclinaison magnétique est importante et en plus des phénomènes locaux apportent une dérive de l'aiguille qui atteint facilement et fréquemment 50 degrés. Dans ces conditions le compas ne sert pas à grand-chose, d'autant plus que cet écart peut changer de 20 à 30 degrés en 20 ou 30 milles. Nous commençons la journée par une route Nord, il nous faut aller voir ce qu'il y a derrière les îles, et surtout si l'on voit des ours sur la rive. Nous y sommes allés, nous avons vu des morses, des phoques, un petit rorqual, des tas d'oiseaux , un paquebot de croisière au loin, des rennes nains, mais pas d'ours, il faisait grand soleil, presque chaud, 12°C , nous étions par 79°40' de latitude Nord, on a mangé un morceau de brownie Forchy pour marquer le coup et on a fait demi-tour.



Nous sommes repassés devant l'embouchure du fjord de la Madeleine, vu les glaciers du fond, évité les blocs de glace et longé la côte Ouest où alternent les montagnes noires et les glaciers blancs.



Nous avons avancé à la voile, quand il y avait du vent et au moteur, souvent. Tard le soir il nous a pris l'idée d'aller mouiller dans un fjord au nord de Ny Alesund, un fjord qui se termine par deux baies pointues et étroites orientées vers le haut de la carte, qui pourraient faire penser à des oreilles de cet animal dont on ne parle sur les bateaux qu'en évoquant un certain cousin du lièvre.

Au fur et à mesure que nous avancions vers le mouillage le vent forcissait, le courant contre aussi. Puis le nombre de growlers qui flottaient en surface s'est mis à augmenter lui aussi.



On a terminé à trois nœuds, on est arrivé passé minuit, plus de vingt nœuds de vent sur le mouillage, on a descendu la pioche dans cinq mètres d’eau, mis cinquante mètres de chaîne et on est allé boire une tisane avant d'aller au lit. Le bateau tirait sur sa chaîne et des saloperies de vagues latérales venaient claquer sur la coque. On a gardé les yeux ouverts un certain temps, trop longtemps pour être en forme le lendemain. Il faut être idiot pour ne pas imaginer qu'avec de telles oreilles un fjord comme ça pouvait être tout à fait innocent.



Lundi 4 Juillet

Départ à 8h car il faut être à 15 h au plus tard dans l'étroit passage du Nord du Forland à cause des courants, "fréquemment probables et dont on dit qu'ils portent au nord" selon les instructions nautiques. Petit-déjeuner en mer, je retourne me coucher. Les filles réussissent à faire marcher à la voile un certain temps puis doivent mettre en route la machine à faire du PIB et du CO2. Ensuite, dans un calme polaire rythmé par le halètement de la machine, nous regardons le paysage défiler sous une pluie régulière, persistante, tenace et glacée. Il règne une impression d'intemporalité, on pourrait croire qu'il va pleuvoir jusqu'aux calendes lapones et qu'ensuite on éteindra la lumière définitivement. Il n'y a qu'ici que l'on peut percevoir de telles impressions. Plus tard on mouille à Farmhamna . Il fait gris, on y voit a trois cent mètres a peine, comme on est passé par là à l'aller on sait que c'est joli et ça nous suffit. On se croirait en Normandie fin novembre, il fait à peine plus froid. Ce soir on s'offre une goutte de calva, c’est de saison. Cependant, car il faut bien trouver de bon côté, nous sommes bien protégés, l'absence de vent nous garanti un mouillage silencieux, les seules vagues sont celles faites par les petits phoques qui pêchent çà et là.


Mardi 5 Juillet


Départ peinard. Route moteur pour cause de calme plat, puis pour cause de flemme. On arrive à Barensburg . C'est une ville russe sur un territoire Norvégien, on y parle russe, on y est payé en rouble, les habitants sont russes , ou ukrainiens (Peut-être aujourd'hui il y en a moins!!!) Autrefois plus d'un millier de mineurs vivaient et travaillaient à la mine.





Aujourd'hui il ne reste que 200 habitants et des ruines, des installations abandonnées, de la poussière noire et une impression de tristesse qui met mal à l'aise. Pour un ponton, sans eau, ni électricité, ni douche, ni sanitaires nous devons payer 500Nok, plus cher que Bergen en plein centre ville. On a franchement l'impression qu'on se fait rouler.


Bureau du port…




On passe dans chacune des deux boutiques de la ville et découvrons d'autres aliments, d'autres produits. La brasserie est fermée, les rues sont désertes, parfois sur la route d'en bas un camion benne russe passe avec son chargement de scories qu'il va déverser un peu plus loin et on entend son gros moteur cacochyme déchirer un silence qui devenait trop pesant. Plus loin la centrale électrique crache son panache de fumée noire dans un azur limpide et on voudrait la remercier de montrer un peu de vie dans ce monde immobile. Les quelques habitants que nous croisons ont le visage fermé et le regard triste, on a l'impression qu'ils sortent d'un endroit ou rien ne peut bouger pour se rendre là où rien ne bougera, jamais.




Nous allons nous doucher dans le gymnase, personne ne nous demande rien, c'est immense, il y a même une piscine mais fermée et de toute façon l'aspect de l'eau coupe toute envie de natation, quelques russes font de la musculation, on entend parfois le bruit des haltères, c'est tout, c'est triste, c'est un autre monde. Nous sommes contents d'avoir vu ça, nous sommes contents de rentrer au bateau, de fermer les écoutilles et de savoir que demain on s'en va.



Mercredi 6 Juillet


On se lève tard, il faut rentabiliser le prix du ponton. On part sur Longyearbyen, gazole, eau et courses. La remontée de l'Isfjord se fait au louvoyage, la trinquette ne fait pas merveille mais on fait avec. Pas grave, on a que 22 nautiques à faire, au louvoyage ça en fera 38 mais nous voulons arriver ainsi.. A l'entrée dans le bras du fjord de Longyearbyen on prend 30-35 kn, comme ça, sans raison, dans l'axe du fjord et bien boute. On met deux heures pour mettre Mariehamn au ponton gazole et bien sur comme les heures on passées le Coop a fermé.

Ce soir le mouillage est venté, Flo et moi-même dormons peu et mal. Une fois de plus Florence est désemparée et angoissée. Au vu de ce que nous avons vécu et des déboires que nous avons eus on peut comprendre.

On était au courant de certaines des conditions, on avait lu. Hélas parfois ce qu'on lit s'avère faux, comme le régime des vents (réchauffement climatique ?) , les pilots charts indiquent un régime de vent très calme en été : c’est faux. Solène, Coralie, moi-même, nous nous sommes fait une raison, parfois en serrant les dents, Florence a eu plus de mal. Alors on rentre, de toute façon nous avons pris rendez-vous le 15 à Tromso un chantier pour notre marche arrière. Il serait quand même mieux qu’on soit à l’heure au rendez-vous.


Jeudi 7 Juillet


Ultime discussion sur les conditions météo : il pourrait être judicieux de reculer notre date de départ d'une journée pour éviter trop de moteur, hélas une dépression qui pourrait être méchante arrivera dans quatre jours sur la côte de Norvège et va générer un flux de sud fort à très fort. J’appelle G qui a de franches connaissances en météo pour confronter mes hypothèses sur la dépression et la conclusion de la discussion est qu’il vaudrait mieux partir derechef et faire beaucoup de moteur ou attendre une petite semaine alors, on y va à 10h30.

Beau temps, moteur, nos coéquipières sont déçues de partir avec aussi peu de vent. Le départ n’est pas joyeux.

Je suis en petite forme suite à une nuit très courte et très décousue, je vais me coucher. Je me lève à 17H, il fait presque chaud, le vent n'est toujours pas là, nous sommes sortis de l'Isfjord, une heure plus tard nous envoyons le gennecker , trois nœuds, bof, on insiste, rebof, trois nœuds, parfois moins. On insiste et on arrive à stabiliser la vitesse entre trois et quatre nœud pendant quelques heures. Puis le vent retombe et c'est moteur à nouveau.

L'arctique devient mer d'huile, le soleil brille, le vent est et reste nul. Le ciel est d’un bleu presque méditerranéen, c'est la misère, on se traine. Vendredi soir nous sommes à la pointe sud de l'île de Spitzberg. A moins de 200 nautiques la prochaine ile s'appelle Bjornoya, île aux ours. Pendant des heures on continu au moteur, parfois plus ou moins loin le souffle d’une baleine, à 17H un souffle juste devant l’étrave, je débraye, elle plonge, on repart. La météo reçue par message iridium nous laisse espérer un peu de vent portant cette nuit. A minuit c’est vraiment très léger, on continu de trainer notre misère et on n’avance pas. Hélas le même message confirme la probabilité de la dépression avec flux de sud, il serait bien qu’on avance car lundi serait le dernier jour pour arriver. Le vent devrait forcir un peu dans la nuit et demain matin, si tel est le cas nous pourrons accélérer, un peu, sinon on va continuer de se trainer et si cette dépression est un poil plus à l’est que prévu on va manger sévère. Dans ce cas on abattra et on ira vers Hammerfest afin de ne pas louvoyer dans le vent fort. Plus tard dans la nuit on se traine toujours, le ciel se couvre un peu, il ne fait pas froid mais on n’avance pas.




Le lendemain c’est Samedi, un peu plus de vent, on marche grand-voile, genecker et moteur. On laisse l’ile aux ours sur bâbord. J’appelle G qui fait office de routeur et il me dit que la dépression a un peu gagnée sur l’est : mauvaise nouvelle. Lundi le vent tourne au Sud : mauvaise nouvelle. On risque de terminer au louvoyage ou à Hammerfest, port situé une cinquantaine de milles plus au nord. Un voilier Français nous rattrape, 23m et 8 kn au moteur charter en Arctique, nous parlons un peu en VHF, quand je lui dit que nous n’avons que peu de vent il nous répond que la mer est calme et que c’est beaucoup mieux ainsi.

Finalement rien ne se passe, le vent fort reste sur l’ouest, nous n’avons pas de vent et terminons au moteur, on arrive le 12 Juillet à 3 H du matin, on prend le mouillage sous un soleil de plomb, il fait chaud, nous sommes arrivés sur le continent, hélas sur cette traversée nous n’aurons pas fait beaucoup de voile, on s’est contenté d’éviter le pire.











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