Voyage sur Mariehamn 3 en mai/juin 2022 de Bergen à Tromso, Norvège
- jlmaral
- 27 juin 2022
- 21 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 nov.
Les twins calva nous quittent aux aurores pour prendre un train qui les mènera du côté du Geiranger, fjord à Flam où elles vont randonner. Elles feront la Norvège par l'intérieur et nous rejoindront à Tromso. Elles partent sans nous réveiller, à peine les entendons-nous charger leurs gros sacs sur le dos. Avant midi, Phillipe, notre vice-président, et Fabrice, membre du bureau, nous rejoignent. Ils sont partis de Normandie à 2 heures et leurs yeux piquent. Nous faisons quelques courses, admirons l'ancien quartier, mangeons, buvons une bière en terrasse pour la modique somme de 48€ et nous nous couchons car demain commence la route.
C'est alors que les invités du bateau d'à-côté arrivent. Et ils sont nombreux à passer sur notre bateau pour embarquer sur celui à couple avec nous. Il faut dire que ce week-end est le début de la fête nationale qui aura lieu mardi, le 17 Mai. Ensuite, ce sont ceux qui veulent aller sur le bateau d'après, puis ceux qui vont sur celui d'encore après. Trois bateaux sont sur notre bâbord. A partir de 1h, bateau après bateau, les visiteurs rentrent chez eux et repassent sur notre pont. Les derniers, à 4h30, trébuchent, tombent, se raccrochent aux haubans, rient et se prennent les pieds dans les filières et les écoutes. Puis nous dormons à poings fermés.
Dimanche 15 Mai
Départ. Sortie du port. On longe les paquebots, tous les uns plus grands que les autres, tous les uns plus luxueux que les autres, tous énormes, de ces bâtiments que l'on regarde en levant la tête et en clignant des yeux. En haut, des passagers nous font signe.

Plus tard, Bergen est dans notre dos. Nous sommes contents d'être ensemble, contents d'être partis. Nous rions du moindre trait d'esprit, de la moindre bêtise. En partant, le voisin bâbord nous a recommandé de nous arrêter à Fedge. C’est à 35 nautiques alors on le fait. Fedge est une île avec un village autour du port. Quelques pontons ont été posés là. Et comme il n'y a que peu de bateaux de plaisance en circulation, on a beaucoup de place. Nous mouillons derrière le port dans une petite anse et allons au village de Kyrjevaaggen en annexe.

Lundi 16 Mai
Aujourd'hui, le vent n'est pas de la partie. Comme hier, c'est moteur. Nous serpentons entre des fjords, des baies, des maisons blanches ou rouges. Nous allons à un mouillage qui est juste au milieu de nulle part, avec une cabane pas du tout abandonnée au fond. Lammetsu. Nous posons le casier.

L'endroit est calme, bucolique, et bougrement étroit. Nous raccourcissons un peu la chaîne et attaquons la cuisine. Fabrice a attrapé une morue de presque 5kg. Ce soir, on mange morue, et c'est très bon.

Mardi 17 Mai
Pas de vent. Peu de crabes dans le casier. Seulement un petit tourteau et un crabe vert, nous relâchons le tout. Nous discutons, moteur en route, généralement sous pilote. Nous admirons le paysage, les sommets enneigés, les petits phares à capuchon rouge. Et avant d’arriver à Kavagh sur l'île, on s’arrête pour pêcher. On prend quelques lieux et une morue.



La lecture du guide de Norvège nous a permis de savoir que des pontons accueillent des bateaux visiteurs devant un hôtel. On se met là. Fabrice fait la mise au ponton. Tout est parfait.

Dehors deux hommes, aussi gentils qu'ils sont saouls, nous souhaitent la bienvenue. On paye une somme dérisoire au bar de l'hôtel pour le ponton où l'employé de service nous prévient qu'en ce jour de fête nationale, si nous voulons manger ou boire, il faut commander de suite car le restaurant-bar ferme à 18h. Il est 17h45. Nous lui disons que nous dînerons à bord. Et ce soir, Lucullus dîne chez Lucullus. Florence a fait une soupe de poisson. Mercredi 18 Mai Léger vent de matin apporte joie au marin. Sitôt parées les jetées, nous hissons tout. En plus, c'est portant. Vent portant, marin content. Le vent est franc et arrière. Nous fonçons. A 13h, nous sommes dans le sud du cap Stat et la VHF crachouille un peu plus souvent. A un moment, je perçois les mots "gale warning". En mer, une vérification vaut mieux qu'une mauvaise surprise. J'appelle les Norvegian Coast Guard et ils me confirment l'avis de coup de vent. C’est pour tout de suite. C'est local sur 40 milles. Ça va monter à 7 ou un peu plus, et on est juste dedans. De plus, mon interlocuteur prend la peine de m'expliquer que le cap Stat où nous arrivons est réputé comme difficile à passer car la mer y est mauvaise. En été, les NCG organisent des convois de plaisanciers pour passer cet endroit. Il n'y a pas d'abris possibles à proximité. On continue. On réduit. On se prépare à quelque chose de sérieux. Une demi-heure plus tard, le vent est fort, la mer assez désagréable. Notre vitesse élevée nous permet d'utiliser les vagues pour aller encore plus vite quand elles nous rattrapent afin de surfer pendant quelques dizaines de secondes et de faire blanchir la mer de part et d'autre de la coque. Parfois ça ralentit et on en profite pour faire une rapide photo du speedo.

Nous passons le cap. Une petite heure plus tard, le vent mollit. On renvoie. Tout va bien. Pendant le coup de vent, Florence nous avait fait des pizzas au lieu. Et comme Philippe était un peu barbouillé, on s’est partagé sa part. Comme maintenant tout est redevenu calme, on en rigole.

On s'arrête à Flavaert, une sorte de port naturel peuplé uniquement de cailloux à dos rond dont certains émergent de l'eau. On envoie le casier, avec sa mignonne boule rouge.

Jeudi 19 Mai Départ tôt. Florence est à la barre. Elle s'approche de la boule et la rate. Puis elle recommence et la rerate. A la troisième fois, elle la place correctement et je peux l'attraper. Entrainement intéressant dans le cadre d’un HLM. Le casier semble coincé, ou lourd, ou alors il y a du courant. Florence me demande de me dépêcher. Philippe vient m'aider. Le casier sort de l'eau. A l'intérieur, une douzaine de tourteaux.

Je décide de faire des rillettes de crabe en me servant du reste de lieu pour allonger la sauce. Florence cuit lieux et crabes et prépare les lieux. De mon côté, je décortique les crabes. Je commence à 9h et termine à 13h. Après le repas, je mélange et assaisonne les rillettes. En fin d'après-midi, je mets quelques pots à stériliser. On ne va quand même pas tout manger ! A 18h, tout est terminé. Pendant ce temps, on navigue. On avance même plutôt bien. L'arrivée sur l'île d'Ona se fait entre les cailloux. On se demande comment les gens faisaient lorsqu'il n'y avait pas de cartographie électronique car les passes, généralement très étroites, sont très peu balisées. Depuis longtemps, des gens vivent sur cette petite île. Trois hectares, un port minuscule, des écueils tout autour, le vent incessant, les vagues par-dessus la digue lors des tempêtes tout l’hiver, une bonne partie de l'automne et du printemps, pas d'arbres, pas de terre végétale, de la neige, de la glace, mais du poisson partout dans les cailloux et une petite conserverie.


Vendredi 20 Mai Ce matin, Ona est sous la brume. Une visibilité de 50m, parfois moins. Pour retrouver l'eau libre, il nous faut serpenter entre des cailloux, des hauts-fonds et des balises improbables qui se limitent parfois à une perche rouillée qui trempe dans l'eau. J'ai un peu de mal, le matin. J'ai parfois ma droite qui passe à gauche, ou le contraire quand je me tourne le dos. Alors c'est difficile de suivre les indications de l'amirale navigatrice qui est à la table à carte. Enfin, nous remontons le canyon sous-marin (similaire à celui de Nazaré, mais plus petit, il ne lève que des vagues de 30m quand il fait mauvais, heureusement en ce 20 Mai, il n'y a pas de vent, et ici ça nous va bien).

Puis c'est l'eau libre, la possibilité de mettre sous pilote, de prendre le petit-déjeuner dans cette brume épaisse qui dégouline de partout et maquille de gris flou les vagues ondulations d'une mer assoupie que l'on confond avec le ciel.
A 14h, les chiottes sont bouchées. Un intense moment de poésie m'attend ce soir.
A 15h, le vent se lève. On part au près bon plein et on coupe le moteur.
A 17h, le vent parfois refuse un peu et mollit. On borde un peu plus et on continue.
A 18h, le vent refuse encore et on se retrouve au près serré avec une vitesse entre 3 et 5 kn. Parfois, un contre-bord s'impose.
A 20h, on entre entre deux îles dans un mouillage ni beau ni laid mais où je vais pouvoir déboucher les WC. Je suis mentalement prêt.
A 20h03, l'ancre descend, croche au fond. Mais nous estimons être trop près du bord. Nous relevons et le guindeau cale. Nous changeons l'angle, sans résultat. En avant, en arrière, de travers ou autrement, nous sommes crochés. Je décide de forcer et accompagne le moteur électrique du guindeau avec le levier manuel. Centimètre par centimètre, ça remonte jusque sous l’étrave. Nous attachons cette énorme masse d'acier et de cordage avec un bout et lâchons la chaîne. Rien, rien de rien. On regrette d'être allé mouiller au fond de ce bras. Suit une délicieuse période de deux heures où chacun d’entre nous donne son idée, pousse, tire, repousse, fait monter, fait descendre, réfléchit, sans grand résultat. Deux heures plus tard, on croit apercevoir l'ancre. On tire plus fort et elle apparaît à la surface. YAPUKA descendre avec l'annexe, passer un bout sur l'anneau, couper la petite corde orange avec le sabre et hisser l'ancre à bord avec le sourire des vainqueurs. Pendant ce temps, trois Norvégiens sont venus nous expliquer qu'ils savaient comment faire, qu'ils pouvait faire venir des plongeurs. Au moment de terminer et de couper l’amarre qui nous reliait au tas de ferraille et de cordage, ils me disent de n'en rien faire. Je tranche l'amarre d’un coup de sabre. La ferraille plonge. Le Norvégien regarde le sabre et se tait, puis s'en va. Nous le remercions. Il hausse les épaules. Avant, il était monté à bord et Phillipe avait remarqué qu'il empestait l'alcool. Peut-être est-ce une raison de son comportement.
Il est maintenant 11h. Il ne fait pas encore nuit et nous sommes épuisés. On mouille plus loin. Les WC ne sont pas débouchés. Alors on débouche une bière. On mange et on va se coucher.
Samedi 21 Mai
Inutile de dire par quoi la journée commence. En bref, à midi, la situation est redevenue normale et le bateau ne sent pas très bon. Annoncé : vent faible à nul toute la journée. De toute façon, nous sommes tous fatigués. Alors c'est une petite étape. Arrivée pas trop tard sur un mignon creux entre les rochers pour la nuit. En plus, il pleut. C'est gris. Genre gris Norvégien, celui qui peut prendre 52 nuances. On décide donc de passer 53 minutes à l'apéro, avant d'en passer 54 à table pour le repas du soir.

Gris du matin. Vent faible à nul annoncé pour la journée. Moteur. Nous avons décidé de fortement contribuer à l'augmentation du PIB de la Norvège en brûlant des hydrocarbures. Doucement, le gris s'en va et le soleil arrive. Attention, ce n’est pas comme au sud. Ici, le soleil arrive avec délicatesse, sur la pointe des pieds, avec une timidité de bon aloi. Rien à voir avec cette grosse brutasse de soleil de l'Algarve qui vous cuit en quelques instants après vous avoir traîtrement assassiné. Non, ici, le soleil est délicat, progressif, aléatoire. Alors quand il est là, tout doucement, la température s'élève un peu. Et sur le coup des 14h, nous avons quitté la veste de quart, les gants chauds, les bonnets et la salopette. Et nous prenons le soleil en pull dans le cockpit sans être écrasés par la chaleur. La mer est calme, le vent toujours nul. On prend une photo parce que certains, plus tard, pourraient ne pas nous croire, mais aussi parce qu'hier, ce n’était pas tout à fait comme ça.

Ce soir, nous irons mouiller près d'une petite ville nommée Bessaker, une toute petite citée qui nous placera à moins de 150 nautique du cercle polaire. Comme nous sommes le 21 mai, la nuit va diminuer très vite au fur et à mesure de notre montée vers le nord. Dans cinq jours, le soleil nous éclairera probablement sans discontinuer. Et nous pourrons ainsi dire à quiconque qui nous expliquera que nous n'avons pas eu beaucoup de soleil que nous en aurons eu plus qu'en Algarve. Il est des vérités qui sont difficiles à faire admettre. Dans cinq jours, nous serons sous le soleil exactement tout le temps.
Lundi 23 Mai Belle étape. Vent portant. Nous devrions faire bonne route. L'idée d’une belle étape nous motive pour partir tôt, enfin pour ne pas partir trop tard, enfin c'est-à-dire qu'à 9h, on est en mer, sous voile et nous marchons bien. Très bien même. Toute la journée, nous serons au-dessus de 6kn et très souvent au-dessus de 7kn. L’humeur est joyeuse à bord. Parfois Philippe nous fait des pitreries d’adolescent.

Mardi 23 et Mercredi 24 Mai
Journées Roervik : journée ville, journée courses, journée discussion avec deux autres bateaux Français en escale. L'un d'entre eux est déjà venu ici plusieurs fois. On en profite pour glaner tout un tas d'informations sur les chenaux, les ports, les mouillages et surtout sur le Svalbard car ils y sont déjà allés. On achète une bouteille de propane et on bricole une installation. En plus, ça marche. On est content comme si l'on venait d'accomplir un exploit. En Norvège, il n'y a que du Propane. Au Spitzberg, le butane risque fort de geler. Alors maintenant, on est paré. L'amirale est rassurée. On marche. On mange un peu plus que d’habitude. On retrouve tous ces petits plus de la vie citadine, et aussi ces petits excès. L'après-midi, petite balade, quelques achats pour notre petite fille. C’est fou ce qu'être grand-parent est efficace pour justifier l'achat de trucs inutiles mais mignons ou en trop grande abondance sous le simple prétexte que c'est pour un bébé à prénom breton. On achète aussi une combinaison de travail grand froid pour marin frileux dans une boutique de vêtements professionnels. Pour moins de deux cent euros, j'ai un vêtement chaud du plus beau jaune canari.


Mercredi 25 Mai En mer aux aurores, aux aurores françaises je veux dire, ici il fait jour depuis longtemps. Ravis de quitter Roervik et de pouvoir utiliser un vent qui s'annonce franc et portant. Rapidement le vent devient plus fort que franc, avec des rafales à décorner les élans. Nous marchons au-dessus de 7kn, au travers sous grand-voile arrisée au second ris et trinquette. Parfois on prend quelques tours dans la trinquette, après que le bateau se soit fait un peu couché et que l'amirale, en équilibre à 45 degrés sur le frigidaire, nous ait demandé si nous étions certains d'être suffisamment toilés. Puis le vent tourne et il se met à pleuvoir. Vraiment pleuvoir. Une fois de plus mon ensemble salopette et veste, que j'avais acheté au salon sur le stand SNSM, prend l'eau. Je me résous à me dire que j'ai fait une bonne action, que pour le reste il faut me faire une raison, et que ma combinaison très jaune sera éventuellement une solution. C'est donc le cul mouillé et la fierté du devoir accompli que je continue à barrer dans un vent mollissant, sous des nuages aux formes variés et menaçantes. Une heure plus tard, le vent a disparu, la pluie non. La partie de l'équipage qui est à l'intérieur suggère qu'on pourrait s'arrêter à Borojusund, ce que nous faisons. Puis la pluie s'arrête, le soleil sort. Je sèche mes affaires. Tout va bien. Nous achetons des harengs sucrés et de quoi festoyer ce soir. Le soleil n'en finit pas de se coucher. Le bras de mer n'a pas une ride. A part quelques conversations à voix feutrée sur le bateau d'à côté, il n'y a aucun bruit. Puis un deux roues genre mob modèle Gérard Lambert déchire ce silence. On va se coucher.


Jeudi 26 Mai
Le vent devait être Norde. On n'est pas parti trop tôt car nous avions la veille décidé d'une petite étape, histoire de pouvoir en profiter un peu, histoire de casser ce rythme lever-dejeuner-appareillage-route-mouillage ou port-repas-dodo, qui a tendance à s'installer. Finalement, le vent est absent. Temps couvert. On a l'impression que la température est plus basse que d'habitude. Le thermomètre indique 11°C. Nous ressentons le froid. Le vent est encore et encore faible ou nul. Alors on crée du PIB. On en a un peu marre de brûler du fioul. Mais sans vent, il y a peu d’alternatives. A 16h, nous entrons dans une baie toute rikiki dont l'entrée ne fait pas plus de vingt mètres de large et laissons tomber l'ancre dans 12m d'eau : Valgahomen. Nous débarquons et trouvons des traces d'ancien habitat. On imagine qu'il y a bien longtemps, des humains disputaient leur survie à une nature hostile. Puis un petit panneau explicatif nous indique que la dernière famille a quitté cette espèce de ferme au milieu de cette petite île en 1940. Une photo en témoigne. Effectivement, ils vivaient dans le dénuement ! Il est étrange et passionnant de remarquer que les petits enfants de ces gens sont aujourd'hui les citoyens du pays le plus riche du monde, en tous cas, de plus fort pouvoir d'achat.
Plus loin un énorme nid, surveillé par un aigle pygargue. Ces gros piafs pèsent jusqu'à une dizaine de kg et se nourrissent de poissons qu'ils attrapent à la surface de l'eau et d'autres proies. En fait, ils bouffent à peu près tout ce qui est vivant et qui peut s’ingérer. Cette bête splendide à l’œil terrible nous regarde s'approcher du haut de son arbre. C'est la première fois que nous rencontrons un tel oiseau et sommes impressionnés. Nous restons silencieux quelques temps, immobiles, puis continuons cette petite marche jusqu'à l'autre côté de l'île, et rentrons, avec un dernier coup d’œil pour l'aigle sur sa branche.





Autrefois, en Norvège, on donnait une prime de 20 couronnes à ceux qui ramenaient une dépouille d’aigle pygargue. Ces animaux étaient nombreux et détestés par les fermiers car ils enlevaient les agneaux. Aujourd’hui, on ne s’embête plus à élever des agneaux en Norvège, ou alors ils naissent à la bergerie, et les aigles sont protégés depuis 1970.
Vendredi 27 Mai
Toujours pas de vent. Par contre du vent fort est annoncé pour la fin de soirée. Ce régime de vent est une véritable purge. En plus, ce sera du nord. Seul changement, une bonne partie du trajet se fait à la voile, mais pas tout. Sur le chemin, nous croisons un sous-marin. C’est fou ce qu’on croise comme sous-marin depuis que Vladimir s’est décidé à une dernière invasion avant de casser sa pipe. Le soir, nous sommes à Johanessbrigga-Scott. Nuit dans une marina privée tenue par un obèse en chaise électrique qui nous fait payer 15€ pour le ponton. Une nuit très calme dans ce port authentique qui sera notre point de départ pour traverser le Westfjord en direction des îles Lofoten. Malgré son nom, le Westfjord est plutôt une grande baie pointue qui ouvre vers le SW et se termine après 80 milles en cul de sac. Si le vent n'est pas SW, c’est très protégé. Si le vent est SW et un peu fort, il vaut mieux être ailleurs. Demain, nous aurons du Nord et nous partirons.


Dimanche 29 Mai
Départ à 8h très précises, nous sommes prêts. A 8h30, nous sommes au près. Nous allons aux Lofoten, à Varoy, petite île à l'extrême sud de l’archipel. La dernière île habitée. La météo nous a prévu un vent plutôt faible, mais régulier, adonnant l'après-midi, avant de mollir en soirée. On aurait pu partir au près bon plein en attendant que le vent adonne comme prévu. Mais nous sommes partis au près serré, histoire de prendre un peu de marge au cas où. La Norvège continentale était derrière nous. Les cimes enneigées étincelaient dans le soleil. Puis le vent a refusé pendant un quart d'heure et nous avons été contraints d'abattre et de perdre ce que nous avions précédemment gagné. Le vent a adonné et nous avons regagné, puis légèrement refusé, puis adonné, refusé, adonné, refusé... ainsi de suite toute la journée. A 17h, nous étions tout proche de l'entrée du port, toujours au près serré, et contraints de tirer un contre-bord d'un petit mille pour entrer. C'était plein de cailloux partout. Le vent tombait. On a terminé le dernier mille au moteur, tant pis. Les puristes nous fouetteront à coup de queues de morue. Arrivée à Varoy, Lofoten. Nous entrons dans cet abri, objectivement le plus bel abri dans lequel je ne suis jamais entré. Nous sommes au milieu d’un cirque de montagne dont les sommets culminent à plus de 700m, les neiges se reflètent dans l'eau du port, des huîtriers pie pépient, et très haut, parfois un aigle pygargue guette et tournoie lentement. Ça pue le poisson séché. Des séchoirs à l'air libre occupent tout espace libre entre les bâtiments. Nous découvrons qu'en plus des filets de morue, ils font sécher les têtes. Les filets partent en Europe, les têtes nourrissent l’Afrique. Bon appétit à tous, et surtout aux pays suffisamment riches pour avoir les bons morceaux.


Lundi 30 Mai A partir de maintenant, nous ne sommes plus qu'à 200 milles de Tromso où nous allons changer d'équipage. Fabrice et Philippe décolleront de l'aéroport de Tromso. Les "twin calva" embarqueront de nouveau. L'arc des Lofoten nous protège des coups de vent éventuels. Puis au sortir des Vesteralen, nous pourrons naviguer dans des chenaux entre les îles ou le long de fjords. Nous sommes presque arrivés. Nous allons ralentir le rythme, prendre un peu plus notre temps. Ce matin, lever tardif, promenade et petites réparations sur le bateau. Puis pendant que Philippe prépare le repas, nous tentons de démarrer notre drone. C'est un échec. Cet après-midi, nous allons jusqu'à Moskenes, longeons le célèbre "Maestrom" cher à Jules Vernes et Edgar Poe, et nous nous arrêtons après une étape de 15 milles. Le ciel est bleu, les montagnes gigantesques. Il fait presque chaud. Et nous avons pris du poisson, une morue de 5,2kg. Après, on n'a plus pêché car la règle à bord est de ne pas gâcher ce qu'on retire de la mer. A 15 milles, Moskenes, un ponton gratuit, du poisson pris sur la route, un autre port sublime de pêche à la morue. Comme précédemment, des milliers de tonnes de morue non emballées qui finissent de perdre leur eau avant d'être consommées sur place ou exportées. Leur odeur recouvre toutes les autres.


Mardi 31 Mai Un trajet immense puisqu'on va jusqu'à Reine. 6 nautiques au moteur. Mer d'huile, soleil de plomb, luminosité extrême car le soleil se reflète sur les névés et les rares glaciers. Nous avons chaud sous nos vêtements de mer. Nos visages sont rougeauds de tant d'irradiation. En fin d'après-midi, la température frise les 19°C. Certains vont à la boutique en vélo et ils arrivent en sueur. D'autres les rejoignent en annexe et ils arrivent souriants. Nous reconstituons les stocks de yaourt et de bière, éléments essentiels pour la survie en milieu arctique, et constatons qu'il vaut mieux abuser du yaourt que de la bière si l'on veut préserver son capital en Norvège. Une bière vaut ici quatre fois plus cher qu'en France. De plus, il est raisonnable de dire qu'elle est moins bonne.



Pendant que nous restons au niveau de la mer, les twins crapahutent. Elles montent sur ce qui est haut et prennent des photos. Beaucoup sont extraordinaires et donnent une autre vision du pays.




Mercredi 1 Juin Nous augmentons la moyenne quotidienne et avançons jusqu'à Ballstad : 16 nautiques. Attention, l'affaire se fit au louvoyage, contre-courant, avec un vent très variable en force et en direction. Notre mérite fut certain, ne vous méprenez pas ! Ballstad est un port de pêche très actif, un gros chantier de réparation, un centre de tourisme avec plein de petits chalets colorés nouvellement construits en bord de mer grâce à l'ajout de pilotis pour tenir la terrasse et la façade de la petite maison. C'est plutôt soigné, plutôt propret, et presque animé par ce début de soirée ensoleillée de printemps.


Jeudi 2 Juin Le point météo du matin nous confirme le risque de temps fort pour la fin de la semaine. Il va falloir surveiller ça. En mer, pour le moment, c'est calme, trop calme. Voile, moteur, voile, moteur. Devinez, le vent est faible et dans le mauvais sens. Malgré notre détermination à ne pas utiliser le moteur au départ de Ballstad, il faut bien reconnaitre que tirer des bords avec 3kn de vent réel, ça va pendant une heure ou deux, mais après il faut bien faire la route. Parfois, on s'arrête. On pêche. On s'arrête de pêcher quand on a suffisamment à manger. Et on avance. Arrêt à Svolvaer, soit disant la capitale des Lofoten, une merveille. C'est plein d'hôtels, d'Allemands, de Hollandais, de Suédois, d'Anglais, de Français en camping-car, de propositions de randonnées en kayak, paddle, barque, planche à voile, voilier, bateau de pêche, bateau à gros moteur, bateau à très gros moteur, plongée (sous l'eau), cheval (hors de l'eau). Ne manquait que les sorties à dos de chameau. Dommage c'est ce que je voulais. En plus, le front de mer (sur le port) est le plus moche de ce que nous avons vu en Norvège. Quasi belge, tendance Blankenberge. En plus, les douches étaient froides, la machine à laver marchait mal. On est resté à bord et on a fini la bouteille de Porto.

Vendredi 3 Juin Bulletin météo du matin chagrin. Un certain risque de coup de vent était dans l'air sur la fin de la semaine. Le risque se transforme en certitude. On va s'en prendre un. Avant, nous nous interrogions sur l'intérêt de passer par Narvik. Aujourd'hui, la décision est prise. On y va car on y sera bien protégé. De plus, c'est une ville. Et depuis Bergen et Roervik, nous n’avons pas mis les pieds dans une ville. A peine 100 milles à faire, mais sans vent. Les Dieux des hydrocarbures se bidonnent. Route au moteur donc, mais toujours dans un paysage de rêve, des chenaux entre des îles, des chenaux secondaires entre des îlots, des entrées de fjord brumeuses, des sommets enneigés, une mer plate qui reflète tout ça. La Norvège, c'est 10 fois plus beau que la Bretagne et 100 fois plus grand. Et en été, il ne fait pas plus froid qu'en Bretagne en hiver. Nous allons à Karstad. Et c'est route moteur. Par vent nul, on ne peut que contempler, admirer, rêver, imaginer, et polluer.

Samedi 4 Juin Nouveau bulletin météo. Nouvelle situation. Hélas la dépression prévue a l'air de laisser la place à deux autres et il est possible que nous ayons un temps de chien jusqu'à jeudi. Dans ces conditions, aller à Narvik n'est plus la meilleure option car ça nous imposerait un crochet vers l'est qui rallongerait la route de 50 nautiques. Nous décidons de progresser Nord et de nous rendre à Harfstat qui est sur la route, qui est une grosse ville, et qui nous offrira un abri sûr pour laisser passer la première dépression. Nous partons tôt. Le départ se fait au près, grand-voile deux ris et la moitié de la trinquette. Heureusement, nous n'avons que six milles à faire au louvoyage avant de pouvoir abattre. Nous en avons bien profité pendant les deux grosses heures que cette remontée au vent a duré. Le vent était trop fort pour être au près. Ensuite, nous avons embouché un autre fjord. Le vent est passé sur l'arrière et tout est devenu simple. Nous avons remonté le Tieldsund à plus de sept nœuds, parfois le speedo frisait les dix. Rien de plus simple. Nous sommes arrivés à Harfstat le sourire aux lèvres jusqu'au moment où nous nous sommes rendu compte qu'il nous allait falloir apponter par 30kn. Heureusement, il y avait de la place. Nous étions bien préparés, et tout fut facile. Le samedi, Harstart est une ville triste, à donner envie de se pendre, comme beaucoup de villes du nord. Le lendemain matin, c'est dimanche et c’est bien pire. Il fait froid. C'est lugubre à souhait, désert, mort. Après manger, on part pour une toute petite étape pour aller dans un mouillage moins déprimant. Engenes, 15 milles. Nous sommes maintenant à 60 milles dans le sud de Tromso, à un petit 200 milles au nord du cercle arctique, au-dessus du 68 nord. Et aujourd'hui, en mer, la température nous le rappelle.

Dimanche 5 Juin Engenes est un tout petit port de pêche qui abrite quand on arrive six bateaux de pêche et un voilier. Les bateaux de pêche sont gros. Rien n'est prévu pour la plaisance. Un homme nous appelle sur le bord d’un quai, nous dit qu'on peut se mettre là et nous aide à nous amarrer. Nous le remercions chaleureusement car le vent est assez fort même si ce minuscule port offre un abri des plus corrects. Il nous précise que l'emplacement est gratuit. Nous discutons un moment et il retourne travailler sur son bateau. Le soir, il fait cinq degrés et on remarque qu’il neige au-dessus de 200m sur les montagnes environnantes. Nous utilisons notre chauffage à fioul.

Lundi 6 Juin Un autre coup de vent est annoncé pour 23h. Nous quittons Engenes dans le but d'aller débarquer à Finnennes ce six juin. La carte nous dit qu'il y a une grande marina juste après le pont. Ça risque d'être sans charme. Mais 40kn sont annoncés ce soir, alors on ne fait pas les difficiles. Au départ, du vent, ensuite moins de vent, un peu plus loin plus de vent, alors, une fois de plus, on crée du PIB et les Dieux du pétrole se gondolent. Le soleil brille, les montagnes étincellent. Lunettes de soleil et crème solaire sont de sortie. Nous quittons nos combinaisons grand froid et avons du mal à imaginer qu'hier on se gelait et que ce soir ce sera l'enfer froid. Puis nous relevons la tête. Les montagnes et leur neige fraîche sont là. Alors on admet que le temps puisse changer rapidement dans l'arctique. A Finnsnes, on ira au Vinmonopolet, seule boutique où l'on peut acheter du vin en Norvège, mais aussi au supermarché car les placards sont vides. A Finnsnes, tout est fermé car c’est la Pentecôte. La marina est moche. Mais il y a des douches, des machines à laver, et c’est protégé. Le coup de vent de cette nuit peut passer. Le lendemain, la dépression n’est pas passée. Mais les supermarchés sont accueillants. En centre-ville, leurs parkings sont payants ! Le Vinmonopolet nous vend du vin trois ou quatre fois plus cher qu’en France. A ce prix, le choix est grand et la tentation facile à maîtriser. Nous avons acheté un citron vert afin de ne pas risquer le scorbut, tout va bien. A part ça, la ville est moche comme une ville du grand nord peut l’être. Parfois, un trait d’humour éclaire un peu la ville.

Mardi 7 et Mercredi 8 Juin
Nous continuons de monter vers Tromso. Le temps n’est pas fameux. Le soir, on mouille du coté de Senja dont nous repartons dès le matin pour aller directement vers la grande ville du Nord. Le soir, nous avons une petite difficulté à prendre le ponton à cause de cet inverseur qui a décidé de nous supprimer la marche arrière sans prévenir. On tape un peu le ponton et on se dit qu’il faudra quand même trouver la raison de cette panne aléatoire qui pourrait à terme s’avérer catastrophique. Philippe s’amuse et nous fait une composition avec tous mes gants. Il sous-entend que je pourrais en avoir beaucoup, alors que je pense en avoir juste assez. Les plus observateurs remarqueront que je n’avais pas sorti mes sous-gants fins, indispensables quand il fait froid.

Certains appelle Tromso, la petite Paris du Nord. Soyons sérieux, cette charmante bourgade de province ne peut être comparée à Paname. Mais c’est une ville qui a son charme, une ville d’où partaient autrefois les trappeurs, d’où partent aujourd’hui les gros chalutiers qui vont pêcher en Arctique, un endroit doté d’une université, de musées, de bâtiments qui témoignent d’un effort d’architecture, une ville qui vie. Contrairement à la plupart des villes du Nord, c’est une ville gaie.
Nous avons passé trois jours au ponton, le temps de faire des emplettes, d’aller au musée, de boire des cafés, de sentir vivre cette ville animée. Et les twins sont arrivées, puis Fabrice et Philippe sont partis. Une autre page se tourne et un autre chapitre commence. Histoire de remettre en question certaines idées préconçues, nous allons faire une dégustation de bière dans une brasserie locale en ville. Et nous devons dire que les bières étaient bonnes !

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